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LA NECESSITE DE GARANTIR DES MODES ALTERNATIFS ET EFFECTIFS DE PRISE DE RENDEZ VOUS

Le 12 août 2020
Interpellé sur la prise de rendez-vous en ligne en matière de séjour et naturalisation, le Défenseur des droits fait le constat d'une situation sinistrée et invite les Préfets à garantir plusieurs modalités d’accès effectif aux services publics.

Article rédigé par Sabah CHAOUI, juriste-doctorante et Maître Haywood WISE, avocat au barreau des Hauts-de-Seine et au barreau de New-York 

L’une des dernières décisions en matière de droits des étrangers signé du Défenseur des droits sortant Jacques TOUBON, traite de l’épineuse question de la dématérialisation des services publics. 

Amorcée en 2014 , la dématérialisation des services publics est un projet global inscrit dans le cadre d’Action Publique 2022 (2) en application de laquelle l’ensemble des services publics pourront être accessibles par voie électronique d’ici 2022.

A lire le point 12 des 20 mesures pour l’immigration présentées le 6 novembre 2019 (3) , l’objectif en matière de droit des étrangers est d’aboutir à la dématérialisation complète de l’ensemble des procédures relatives au séjour et à la naturalisation et à une réduction des déplacements en Préfecture. Toutefois eu égard à la situation actuelle, cet objectif apparaît particulièrement compromis.

A ce jour, la dématérialisation en matière de séjour et de naturalisation se limite encore à la mise en place de plateformes de prise de rendez-vous en ligne (4) (5). Toutefois les téléservices actuellement en place sont affectés par des dysfonctionnements systémiques tels que les ressortissants étrangers sont dans l’impossibilité de prendre un rendez-vous en ligne pour présenter une première demande ou un renouvellement de leur titre de séjour.
Interpellé depuis plus de deux ans sur ce sujet, tant par des ressortissants étrangers, que des associations, des avocats ou des travailleurs sociaux, le Défenseur des droits a décidé de rendre à la fois compte de la situation générale déjà particulièrement sinistrée mais également de la situation plus actuelle résultant du confinement et de la crise sanitaire, laquelle a sensiblement aggravée la donne. Il s’attarde sur la décision récente du Conseil d’Etat en la matière et sur la difficulté des usagers à apporter la preuve de leurs diligences. Enfin le Défenseur constate une différence de traitements selon les différents types de demandeurs et émet des recommandations à l’intention du Ministère de l’Intérieur.

1. Une situation connue et sensiblement aggravée par la crise sanitaire du covid-19

Le 9 mai 2016, le Défenseur des droits avait d’ores et déjà émis un rapport global sur la dématérialisation des services publics mais n’avait pas eu l’occasion de consacrer des développements détaillés sur le sujet pressant des prises de rendez-vous en ligne pour les ressortissants étrangers.

Eu égard à l’ampleur du phénomène et à la spécificité du problème, le Défenseur des droits rend une décision en date du 10 juillet 2020 portant uniquement sur la question des prise de rendez-vous en ligne en matière de séjour et de naturalisation. Il y rappelle que la situation est ancienne et qu’au cours des dernières années il a été interpellé à de nombreuses reprises par diverses parties.

La situation est sinistrée dans de nombreuses préfectures, note-t-il, notamment celles d’Île-de-France et les réponses apportées par les Préfets sont insuffisantes.

Le Défenseur des droits prend également le parti de jauger la situation à l’aune du confinement et de la crise sanitaire de la covid-19.
En effet, à l'instar de l'ensemble des administrations, les préfectures sont restées fermées au public durant la période de confinement (16 mars 2020-11 mai 2020). Pendant deux mois, ces dernières ont cessé de délivrer des rendez-vous, les modules de prise de rendez-vous et les plages horaires ayant cessé d’être mises à jour. 

Au sortir du confinement, les préfectures éprouvent des difficultés à rattraper le retard dû à cette interruption forcée. Ce retard inquiète le Défenseur des droits car les ressortissants qui rencontraient déjà des difficultés à obtenir des rendez-vous en ligne avant la crise sanitaire ont vu leur situation fortement se dégrader. Il craint que les préfectures ne parviennent pas à résorber le flux actuel. Enfin e Défenseur des droits salue les mesures réglementaires prises pendant la période d’urgence sanitaire, mais constate qu’elles sont limitées à maintenir les droits des personnes en situation régulière et qu’un certain nombre d'entre eux en sont exclues.

« Dans le cadre des mesures de confinement prises pour endiguer la propagation du Covid-19 en France, le Défenseur des droits a été saisi d’un très grand nombre de situations de ressortissants étrangers se trouvant privés de toute possibilité de solliciter la première délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour du fait de l’interruption de l’accueil des étrangers en préfecture sans procédure alternative de dépôt des demandes.
(…)

Cette situation pourrait constituer un défi considérable pour des préfectures qui ne parvenaient déjà pas à faire face aux demandes des usagers dans des délais raisonnables »

2. La mise en place de modes alternatifs de prise de rendez-vous

Le Défenseur des droits rappelle qu’en matière de prise de rendez-vous par voie de téléservices, le Conseil d’Etat a rendu une décision le 27 novembre 2019 selon laquelle la saisine par voie électronique de l’administration est un droit qui ne saurait être rendu obligatoire.

Cette décision a été suivie d’effet par certaines préfectures seulement qui se sont assurées de mettre en place des modes de saisines alternatives à la saisine électronique.

Il recommande au Ministère de l’Intérieur à faire respecter cette jurisprudence et de s’assurer que l'ensemble des Préfets mettent en place « plusieurs modalités d’accès effectif aux services publics soient systématiquement garanties afin qu’aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée. »

3. Le constat d’une rupture d’égalité selon les profils des étrangers

Par sa décision du 10 juillet 2020, le Défenseur des droits rappelle que peu important la situation de l’étranger, la Préfecture est tenue de respecter les principes de continuité, d’égalité et d’adaptabilité du service public :

« Une personne qui sollicite son admission au séjour, quand bien même s’agirait-il d’admission exceptionnelle, est un usager du service public envers lequel la Préfecture se doit de respecter les principes d’adaptabilité, de continuité et d’égalité devant le service public »

Se fondant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat du 11 avril 2012, Gisti et autres, le Défenseur des droits constate qu’il existe « des différences de traitement ne poursuivant pas un but légitime » entre les différents ressortissants étrangers. Certains types de demandeurs (admission exceptionnelle au séjour, étrangers malades, conjoint de français,…) étant traités différemment et sont renvoyés systématiquement vers des plateformes dématérialisées généralement peu fonctionnelles. Cette attitude des Préfets dénote une volonté de limiter l’accès au séjour à certains profils d’étrangers.

Fort de ces constations, le Défenseur des droits émet plusieurs recommandations à l’intention du Ministère de l’Intérieur et l’invite à faire respecter ses recommandations dans un délai de trois mois.

Notes de bas de page:

[1] Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante créée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et instituée par la loi organique du 29 mars 2011. Il veille au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public. Il peut être saisi par toute personne physique ou morale qui s’estime lésée dans ses droits et libertés. Il a des pouvoirs de recommandations et de médiation.

[2] Circulaire du 3 janvier 2014 relative à l’amélioration de l’accueil des étrangers en préfecture et aux mesures de simplification et objectifs d’organisation, NOR : INTK1400231C

[3] Comité interministériel sur l’immigration et l’intégration, Dossier de presse, 20 décisions pour améliorer notre politique d’immigration, d’asile et d’intégration, 6 novembre 2019

[4] Ces derniers mois, plusieurs préfectures comme celle du Calvados ont entièrement dématérialisé certaines procédures via le module www.demarches-simplifiees.fr

[5] Décret n°2016-685 du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en œuvre du droit des usagers de saisir l’administration par voie électronique, JORF n°0124 du 29 mai 2016

Pour aller plus loin:

Lien de la décision du 10 juillet 2020 en intégralité: https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=33215&opac_view=-1