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Ajustement de statut sous ESTA : entre pratique tolérée et insécurité juridique"

Le 06 mai 2025
Ajustement de statut sous ESTA : entre pratique tolérée et insécurité juridique

Lorsqu’on conseille des clients dans le cadre d’une procédure d’immigration familiale vers les États-Unis, il est essentiel de concilier empathie et rigueur juridique. Récemment, un cas m’a rappelé à quel point certains conseils, pourtant répandus, peuvent exposer les candidats à de graves risques juridiques. Il s’agit du recours inapproprié à la procédure d’ajustement de statut (Adjustment of Status, ou AOS) par un ressortissant étranger présent aux États-Unis sous le régime du Visa Waiver Program (VWP, ou ESTA).

Dans ce dossier, les clients avaient commencé correctement la procédure en lançant une demande de visa d’immigrant par procédure consulaire, en déposant le formulaire I-130 alors que le ressortissant étranger résidait encore en France. C’est la méthode la plus sûre et la plus conforme à la loi pour les étrangers mariés à un citoyen américain et résidant à l’étranger.

Toutefois, après avoir contacté leur représentant au Congrès pour obtenir des informations sur les délais, ils ont reçu une réponse surprenante de l’avocat spécialisé en immigration du bureau parlementaire, leur conseillant de déposer un formulaire I-485 (demande d’ajustement de statut) et un I-131 (demande de document de voyage), tout en restant aux États-Unis — même sous ESTA.

Cette recommandation, bien qu’elle soit parfois mise en œuvre en pratique, est en contradiction avec la lettre et l’esprit du droit américain de l’immigration.

Pourquoi ESTA n’est pas un raccourci vers la Green Card

ESTA permet aux citoyens de certains pays, dont la France, de voyager aux États-Unis sans visa pour des séjours de 90 jours maximum à des fins touristiques ou professionnelles. C’est un statut strictement non-immigrant. Utiliser ESTA pour entrer aux États-Unis avec l’intention cachée de s’y installer durablement via une demande de résidence permanente est non seulement juridiquement inapproprié, mais est souvent considéré comme une fraude à l’entrée.

Il existe des exceptions très limitées : une personne entrée sous ESTA et mariée à un citoyen américain peut, dans certains cas, demander un ajustement de statut. Mais les services de l’immigration (USCIS et CBP) examinent de près l’intention au moment de l’entrée. S’ils estiment que le ressortissant étranger avait dès le départ l’intention de s’installer, cela peut entraîner le refus de la demande, une expulsion rapide, voire une interdiction de territoire pour cause de fausse déclaration (INA § 212(a)(6)(C)(i)).

Dans ce cas précis, un deuxième passage à la frontière avait déjà attiré l’attention des agents : le lien avec un citoyen américain et la fréquence des voyages éveillaient des soupçons. Une tentative d’ajustement de statut après de telles interrogations est juridiquement risquée, même dans le cadre d’un mariage légitime.

Une responsabilité éthique

Certains avocats font valoir que l’ajustement de statut depuis l’ESTA réussit parfois, et que les services de l’immigration peuvent faire preuve de tolérance. C’est vrai. Mais il est inacceptable d’omettre les risques réels ou de conseiller une telle stratégie comme si elle allait de soi.

Cette approche, bien qu'elle semble pragmatique, devient alors juridiquement discutable et éthiquement irresponsable. En cas de refus, la personne n’a aucun recours, ne peut pas faire appel, et peut être expulsée.

En tant qu’avocats en immigration, nous avons le devoir non seulement de connaître le droit, mais aussi d’offrir des conseils honnêtes et pleinement informés. Recommander à un client de rester sous ESTA en attendant la green card, sans l’avertir des risques de fraude ou de refus, viole ce devoir fondamental.

Conclusion

Les clients ont ici suivi la voie correcte : déposer une demande depuis l’étranger via la procédure consulaire. Ce chemin, certes plus lent, respecte le système d’immigration américain et protège les demandeurs contre des conséquences juridiques irréversibles.

Il est vrai que de nombreux avocats américains encouragent parfois les ressortissants étrangers à demander l’ajustement de statut alors qu’ils sont présents aux États-Unis sous ESTA. Toutefois, une telle pratique ne repose pas sur une interprétation rigoureuse du droit, mais reflète plutôt une position politique : celle de minimiser, voire d’ignorer, les limites juridiques claires imposées par le régime des visas non-immigrants. Cette approche, qui fait primer une vision idéologique d’une immigration sans entraves sur le respect des procédures établies, expose les demandeurs à des risques considérables — tant sur le plan juridique que personnel — et s’éloigne du devoir de conseil responsable que requiert la profession.

Les praticiens du droit de l’immigration doivent résister à la tentation d’offrir des raccourcis séduisants qui contournent les procédures. Comme en médecine, il convient de se rappeler :
Avant tout, ne pas nuire.